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Le mirage du discours

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Le 12 août dernier, Martine Delvaux proposait une réflexion sur le film Le Mirage de Ricardo Trogi dans La Presse+. Dès le lendemain, un chroniqueur du Journal de Montréalréagissait de façon outrancière en personnalisant indûment l'enjeu social qui était soulevé. Dans le 61e numéro d'À bâbord !à paraître début octobre, l'auteure revient à nouveau sur Le Mirage et aborde ce à quoi s'exposent les femmes lorsqu'elles prennent la parole dans l'espace public. Nous vous proposons ici un extrait de cet article.

La salve est arrivée. Je l'ai reçue. Et après, comment faire ? Rétorquer par la bouche des mêmes canons farcis d'insultes et d'interpellations, cette manière de s'adresser à l'autre de façon à la faire taire ? C'est pourtant ce que j'ai fait. Je me suis tue. Je me suis retranchée dans le silence, dans une certaine honte aussi d'avoir été ainsi affichée (pour ne pas dire salie, ou humiliée, ou méprisée) sur la place publique. J'ai reculé pour mieux penser.

L'attaque

Je n'ai pas envie de revenir sur la courte lecture que j'ai proposée d'un film, sinon pour préciser que ce texte n'a pas vraiment été lu, ou qu'il a été mal lu, ou mal compris, non pas parce qu'il était compliqué mais, je soupçonne, par mauvaise volonté. Et que dans tous les cas, il ne s'agissait pas de qualifier le film en question de bon ou de mauvais, ni d'en proposer une lecture ultime, mais de pointer une tache aveugle, un point noir qui m'interrogeait. Ici, l'angle mort, c'était le voile cinématographique tiré sur l'agression sexuelle. Oui montrée, et oui pour ce qu'elle était, mais on pourrait dire ravalée par le film, digérée de telle sorte qu'elle est devenue non seulement une étape, mais le dernier jalon dans le processus de transformation du héros. Ce qui d'un côté est une attaque, une violence, s'avère au final une sorte de coup de pouce vers la libération.

Et s'il avait été question non pas d'agressions sexuelles, mais d'agressions à caractère raciste, est-ce qu'on aurait dit que ça n'importait pas ? Est-ce qu'on aurait disputé l'interprétation selon laquelle cette violence était représentée, mais non élaborée et enfin pardonnée par la facture du film ? Est-ce qu'on aurait osé dire qu'il s'agissait d'un symptôme, la manifestation d'un désespoir privé séparé du contexte social ? On ne l'aurait pas dit, parce qu'un tel film n'aurait pas été fait. La misogynie demeure une des seules formes de discrimination qu'on pourrait dire acceptable, une manifestation de haine qui ne risque pas l'opprobre d'un public. Rien de mieux, pour montrer la déchéance d'un personnage, que d'en faire un obsédé sexuel grand consommateur de poitrines et de fantasmes pornos ! Sa chute, puis son élévation finale ont parfaitement le droit de se faire sur le dos des femmes. Voilà ce qui a retenu mon regard, le rôle donné aux femmes dans cette organisation cinématographique précise : leur objectivation, leur inscription dans un script pornographique des plus classiques et inintéressant, leur agression mises au service de l'illustration du mal-être masculin.

Mais c'est comme si on n'avait rien compris depuis les années 1970 jusqu'à l'automne dernier… Car suggérer qu'un personnage commet des agressions sexuelles pour des raisons personnelles, c'est reléguer le privé au privé, et sortir l'agression sexuelle du politique. Louanger la libération d'un héros (comment il se défait de l'emprise de la famille, du couple, du travail, de l'argent…), le montrer comme sorti du monde, seul dans un paysage idyllique, c'est le sauver de son malheur et pardonner que cette connaissance de soi ait dûêtre acquise par le biais de l'humiliation des femmes. Pointer une telle organisation, ce n'est pas de dire qu'un film est mauvais, qu'il incite au viol ou même que son héros est un salaud ; c'est essayer de voir ce que le film dit et peut-être même malgré lui, sans vraiment le savoir. À l'image de son héros, d'ailleurs, dont les comportements sont présentés comme plus forts que lui. Il saute un câble, il pète les plombs, et ça y est, il se jette sur une femme ! La souffrance, un sentiment d'enfermement, le fait qu'il soit devenu la victime de sa propre vie… autant de facteurs qui l'amènent à agir ainsi.

Mais qu'est-ce qui relève du social, dans cette histoire ? Comment est-ce que le film et son héros s'inscrivent dans l'ordre d'un discours social ? Ça, il est interdit de chercher à le penser. Pire encore : il faut le faire taire.

Retrouvez l'intégralité de cet article dans le numéro 61 d'À bâbord ! en kiosque au début du mois d'octobre.


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